Interview de Ma Palette
Transformer le secteur de la construction en plaçant les matériaux au centre du processus ? C’est le défi audacieux que se sont lancé nos trois entrepreneures du jour, et qu’elles ont brillamment relevé avec Ma Palette. Porté par Julie Bourquard, Laure Fleurent et Léah Sekiou, trois femmes dynamiques et engagées, ce projet innovant est une plateforme en ligne qui révolutionne la manière dont on choisit les matériaux dans le BTP, avec une emphase particulière sur l’éco-conception. Une aventure entrepreneuriale pleine d’ambition et de passion, qui défie les stéréotypes de genre dans une industrie encore confrontée à de nombreux défis.
Je n’ai pas à hésiter à la rejoindre dans cette aventure. Léah nous a ensuite rejoint durant l’année 2022. Ma Palette concrétise notre souhait de créer ensemble un projet d’avenir, formulé déjà lors de notre parcours commun à l’École Nationale Supérieure d’Architecture de Marseille il y a déjà plus de 10 ans !
Vous êtes 3 associées dans des domaines encore dominés par des hommes, comme l’entrepreneuriat et le BTP. Comment gérez-vous les défis particuliers que vous rencontrez en tant que femmes ? Les enjeux sont-ils différents ? Arrivez-vous à en faire une force ?
Laure : Les temps changent, je pense pour le mieux. J’ai espoir ! Notre solution est souvent bien accueillie, jusqu’à maintenant durant des présentations ou des échanges je n’ai pas fait face à une situation compliquée, c’est une chance j’en suis consciente, il y a encore beaucoup de progrès à faire, de préconceptions à déconstruire, et pas seulement dans la sphère du bâtiment. On avance ! Doucement, mais sûrement !
Julie : Personnellement je fais partie d’un réseau d’entrepreneurs au féminin depuis 2018, ce qui m’a aidé à comprendre quels étaient les freins psychologiques que les femmes portaient en évoluant dans notre société. Je me rappelle que, petite, ma Mamie me disait : “Julie, ne réclame jamais rien !”, je l’ai traduit par “Ne demande jamais rien”. Or pour entreprendre il faut oser demander, à commencer par des formations et des conseils ! Puis, depuis que j’ai fait sauter mes barrières (en mode rugbywoman, ça aide), je n’ai pas vraiment, ou encore, rencontré de difficultés liées à mon genre. Le monde du BTP ne me fait pas peur, au contraire, il est rude mais en étude d’architecture nous étions 70% de filles et les rendus de projet étaient “musclés”, il fallait les défendre et nous justifier avec ferveur !
Léah : Travailler dans un milieu d’hommes ne m’a jamais fait peur. Au contraire, j’y vois une opportunité de faire les choses autrement, de requestionner des modes de communication pour faire des projets qui font sens. Difficile de faire des généralités sans tomber dans un côté un peu simpliste, mais là où le côté masculin va générer du conflit le côté féminin peut apporter douceur et empathie dans le chemin des négociations, avec bienveillance mais fermeté pour trouver un consensus. Il s’agit ici de créer un outil commun, une mise en réseau de données dans un système complexe de façon simple et appréhendable de tous. Ce qui fait notre force c’est notre équipe, nous sommes rassemblées autour de ces valeurs communes mais complémentaires dans nos appétences et donc domaines de compétences.
Présentez-nous Ma Palette : qu’est-ce que vous proposez ?
Julie, Leah et Laure : Ma Palette est une [éco]matériauthèque en ligne qui rassemble des informations afin de trouver, comparer et sélectionner des matériaux écologiques à proximité des projets de construction. La matériauthèque permet aux utilisateurs de se connecter gratuitement sur la plateforme et de récolter des informations au sujet de matériaux tels que leur bilan carbone, leur composition, et des informations au sujet des fabricants. Les résultats de recherche sont présentés sous forme de fiches et peuvent être enregistrés dans des palettes virtuelles, permettant d’accélérer et de faciliter le processus de prescription de matériaux dans un projet. Le but étant de faciliter l’éco-conception. D’autres fonctionnalités sont à venir pour compléter notre solution.
Quelles valeurs défendez-vous ?
Julie, Léah et Laure : En termes de pratique architecturale, nous souhaitons mettre en avant l’idée de partir de la matière pour concevoir le volume et non l’inverse, comme il se fait depuis plusieurs décennies. C’est-à-dire remettre la matière et le lieu au cœur des projets de construction pour réduire notre impact environnemental en informant, inspirant, accompagnant les concepteurs et constructeurs sur une nouvelle démarche éco-responsable. Au travers de Ma Palette nous proposons la réflexion du matériau local à l’aube du projet. Cette volonté de favoriser le circuit court signifie la re-découverte et la mise en valeur des richesses du territoire qui nous entoure. En termes de création, il s’agit de laisser le matériau suggérer des solutions créatives et de donner naissance à une forme qui découle directement de l’usage d’un matériau spécifique. La plateforme est l’occasion de redécouvrir les richesses de notre territoire pour dérouler un projet d’éco-construction de la conception à la réalisation. Cette démarche défend également l’identité culturelle locale, une autre grande valeur de l’architecture.
Qui sont vos utilisateurs, et qui sont les fabricants ?
Julie, Léah et Laure : Nos utilisateurs et utilisatrices sont multiples, plus de la moitié sont des architectes, il y a aussi des maîtres d’œuvre et des maîtres d’ouvrage, des bureaux d’études, des entreprises du bâtiment, des étudiants et aussi des particuliers. Les fabricants, qui sont pour le moment nos clients, sont des entreprises proposant des solutions constructives de différents types. Nous avons par exemple sur Ma Palette des fabricants proposant des matériaux biosourcés, cela signifie que les matériaux proviennent de la biomasse ; géosourcés, qui proviennent d’un minéral ; ou encore écosourcés, qui proviennent d’un “déchet” auquel on a donné une seconde vie. Bientôt nous développerons des outils de conception avancée, pour les professionnels du bâtiment, qui seront payants.
D’après vous, quels sont les grands enjeux actuels du BTP ?
Julie, Léah et Laure : L’un des enjeux auquel doit faire face le BTP est de s’ancrer de manière pérenne dans les rouages de la RE2020 : la réglementation environnementale 2020 ! Cette réglementation exige l’amélioration des performances énergétiques des bâtiments neufs et existants, l’amélioration des performances thermiques des bâtiments, ainsi que la diminution de leur empreinte carbone. La RE2020 est un pas important vers l’éco-construction pour la transition énergétique. Mais pour éco-construire, encore faut-il avoir les bons outils : c’est pourquoi Ma Palette existe. La matériauthèque est une aide à la conception bas carbone pour répondre à la RE2020.
Un autre enjeu majeur et plus actuel est du côté de la matière et de l’énergie qui ont vu leur prix flamber : il faut s’adapter en partie avec des matériaux bruts, issus de ressources locales, il faut innover du côté des processus industriels et du recyclage, il faut oser réemployer les matériaux. En d’autres termes, faire fonctionner notre matière grise !
Avez-vous déjà des projets pour dans 1, 3 et 10 ans ?
Julie, Léah et Laure : Oh oui ! Et nous en parlons souvent, pour motiver les troupes ! Nous considérons que la visualisation est très importante pour verbaliser nos ambitions et créer un plan d’action concret. Nous avons beaucoup de plans d’extension pour la plateforme, notamment un nouveau type de recherche “exemple de réalisation” pour l’année à venir, et suivi de près par un calculateur de bilan carbone. D’ici 10 ans, nous projetons de couvrir les besoins sur l’Europe et nous aurons intégré d’autres maillons de la chaîne des acteurs de l’industrie et du bâtiment, ainsi que des fonctionnalités, allant de la matière première aux bâtiments performants et bas carbone. Ma Palette est notre projet commun rêvé, un outil d’intérêt commun dont nous aurions aimé être équipées durant nos études et au début de notre pratique ! Nous sommes fières d’être une entreprise de l’Économie Sociale et Solidaire, et avons la chance d’être entourées d’une équipe formidable de jeunes talents : Coralie, notre chargée de communication, et Oscar, notre développeur.
Quelles sont vos attentes en rejoignant la communauté EPLP ?
Julie, Léah et Laure : Faire partie d’une communauté d’entreprises vertueuses où les idées sont en ébullition nous réjouit ! Cela nous apportera de la motivation et du courage dans les moments difficiles. Nous comptons bien tisser des liens avec d’autres entrepreneurs, apporter également notre soutien et découvrir des initiatives inspirantes pour tout ce que nous avons à bâtir. Nous devons nous regrouper pour faire poids, pour attirer les autres vers le changement, pour initier ce mouvement nécessaire et qui doit s’accélérer. Ce n’est pas la “décroissance”, d’un vieux mode économique certes, mais un changement de direction économique plein d’ambition et d’espoir pour nous reconnecter à notre Terre et aux ressources disponibles, et non infinies.
À PROPOS D’ENTREPRENEURS POUR LA PLANÈTE
Entrepreneurs pour la Planète, l’association d’intérêt général qui fédère et anime une communauté d’entrepreneurs engagés pour la transition écologique des entreprises.
Sa mission est de :
- Cartographier les porteurs de projet environnementaux & identifier les mentors.
- Créer des binômes & promouvoir le reverse mentoring.
- Animer & valoriser notre communauté d’entrepreneurs engagés.
Née en 2019 à Marseille, l’association est présente en France dans les 4 antennes dans les régions Sud, AuRA, Île-de-France, Bretagne & Pays de la Loire.
Rejoignez-nous : https://entrepreneurspourlaplanete.org/
Ensemble, entreprenons pour la planète !
