Interview de Laurianne Bouvier de Kolibio
Lancer son entreprise à impact sans prédisposition pour l’entrepreneuriat ou même le développement durable, c’est possible ? Oui ! Laurianne Bouvier est une ingénieure maintenant jeune entrepreneure qui nous partage son expérience dans la création d’entreprise avec Kolibio, son entreprise qui fournit les e-commerçants en emballages fabriqués à partir de biodéchets.
Quel a été ton parcours avant Kolibio ?
Je suis ingénieure en matériaux de formation. J’ai terminé l’école à Grenoble en 2011 et j’ai travaillé au démarrage dans une startup dans la microélectronique. J’ai occupé un poste d’ingénieur innovation dans un environnement startup et R&D pendant cinq ans. J’ai beaucoup apprécié le contact client, donc ensuite j’ai voulu m’apporter un bagage commercial en intégrant l’équipe commerciale d’une entreprise très différente, qui était spécialisée dans les gaz industriels. J’étais plutôt en charge de la vente de gaz médicaux pour tout ce qui est secteur hospitalier. On a l’impression comme ça qu’il n’y a pas trop de cohérence, mais en fait ça m’a apporté beaucoup de pluridisciplinarité, et je pense que c’est ce qui m’a ensuite permis d’entreprendre. Je me suis sentie beaucoup plus armée pour monter mon projet, parce que j’avais déjà cette envie d’entreprendre quand j’étais étudiante. Ça m’a donné plus de confiance pour finalement y aller.
À quel moment penses-tu avoir eu cette prise de conscience environnementale, et avoir choisi d’en faire ton activité ?
Quand je pense à mon parcours, la microélectronique, les nanotechnologies, ce n’est vraiment pas du tout lié à l’environnement. Je faisais aussi beaucoup de déplacements en avion à l’autre bout de la terre pour des déplacements très courts, donc je ne suis vraiment pas fière de cette période… Et donc la prise de conscience environnementale est venue bien après, plutôt en 2019-2020.
Il y a eu plusieurs déclencheurs qui ont donné vie à ce projet. Le premier était pendant un stage de brassage de bière. Je me suis rendu compte qu’il y avait beaucoup de déchets qui étaient générés dans cette activité et qui étaient simplement jetés à la poubelle. J’en étais choquée, et en même temps je me suis dit, mince, c’est une matière hyper noble, pourquoi on en fait rien ?
Aussi, j’ai commencé à être dérangée par tout le plastique généré quand on mangeait à l’extérieur, la vente à emporter, les barquettes, etc. et je pense que la crise sanitaire a été un peu le point d’orgue pour venir me dire là, il y a vraiment un souci au niveau de l’environnement. On a manqué d’attention pour notre planète jusqu’à maintenant.
C’est donc assez récent finalement ! Tu t’es donc lancé dans le grand bain de l’entrepreneuriat en créant Kolibio. Qu’est-ce que vous faites et quelles sont vos valeurs dans votre démarche ?
Kolibio a pour mission d’aider les e-commerçants engagés à réduire leur impact environnemental en adressant la problématique des emballages d’expédition. Kolibio développe et commercialise des emballages qui sont fabriqués à partir de biodéchets. Les biodéchets, c’est donc les drêches de bière dont je te parlais plus tôt ! C’est un déchet issu de la production de la bière.On développe et fabrique l’emballage dans une logique d’éco-conception. Ça veut dire qu’on intègre les aspects environnementaux depuis le début du projet, on est accompagné par une agence spécialisée qui nous aide à mesurer l’impact de l’emballage par rapport à un emballage d’e-commerce classique, pour valider la démarche et venir la garantir à mes clients. On fait aussi attention à sa fin de vie, et on s’assure qu’il soit d’abord recyclable, et ensuite compostable domestiquement pour que tout un chacun puisse éventuellement le jeter dans son compost s’il en a un, ou le recycler.
Dans nos valeurs, il y a l’impact positif. En tant que société à mission nous avons plusieurs devoirs, notamment sur la prise de conscience et l’engagement environnemental — on fait beaucoup de sensibilisation auprès des clients et beaucoup de conseils sur l’impact environnemental global des emballages. On s’engage aussi à mettre en avant des ressources locales et des savoir-faire locaux, au niveau régional et national.
En seconde valeur, je veux parler d’intégrité et de transparence. Je pense que celle-ci vient vraiment de ma personne, car je tiens beaucoup à bâtir des relations partenaires-fournisseurs transparentes et intègres. Et la dernière valeur, c’est la frugalité. C’est important de ne pas essayer de réinventer la poudre à chaque fois, mais d’utiliser des savoir-faire, de reprendre l’existant et de venir l’améliorer. On veut éviter d’être dans une innovation trop consommatrice.
Tu parlais d’une agence avec qui tu travailles pour l’éco-conception ; comment s’est passée la période de R&D ? As-tu été accompagnée ? Combien de temps cette phase a-t-elle duré ?
Alors, la recherche et développement est toujours en cours ! Donc combien de temps ça prend, je ne peux pas encore répondre à cette question, mais j’espère pas trop longtemps encore ! Je ne cache pas que ça a été un point assez difficile du parcours entrepreneurial : comment trouver ce bon écosystème pour pouvoir faire de la recherche et développement dans un contexte cadré.
Je connaissais une école de papeterie à Grenoble, comme j’y ai fait mes études. J’ai contacté cette école spécialisée dans la fabrication de papier et d’emballages, et dans la valorisation de tout ce qui est biomasse. J’ai mis du temps à identifier comment le faire contractuellement et dans des bonnes conditions, et ai commencé par un programme étudiant que j’ai pu avoir grâce à une subvention de l’ADEME. Avec ce programme étudiant, le but était d’avoir un premier prototype et une première étude de faisabilité sur la fabrication du matériau à partir de déchets, et une petite idée de l’emballage. Ça m’a permis de le faire avec des moyens laboratoires plus évolués que ce que j’avais pu faire moi dans ma cuisine, parce que c’est vraiment comme ça que j’ai commencé !
Une fois ce programme étudiant terminé, j’ai embauché une stagiaire R&D qui travaille sur les propriétés du matériau pour continuer de l’améliorer, pour que l’emballage soit robuste, qu’il ne se désintègre pas dans l’eau à la première pluie, etc.
Qui sont vos fournisseurs aujourd’hui, seulement les brasseries ?
Pour le moment oui, les fournisseurs sont les brasseries qui me donnent leur drêche de bière. Aujourd’hui, la collecte des biodéchets, c’est un sujet pour les professionnels comme pour les particuliers. Il y a pas mal de choses qui se développent au niveau professionnel, pour venir collecter ces déchets, et ça va venir aussi au niveau des particuliers, comme de plus en plus on voit des bornes de collecte alimentaire. C’était aussi une des envies du projet que de venir apporter des solutions à des micro-brasseurs urbains. À la base, ils devaient soit payer pour faire collecter leurs déchets, soit s’arranger avec des agriculteurs pour récupérer cette drêche. Or, en ville, on n’a pas forcément les agriculteurs à proximité, c’est beaucoup de logistique et de temps perdu pour eux, et c’est donc comme ça que l’idée est venue de leur apporter cette solution de collecte.
D’après toi, quelle est la meilleure matière à recycler ? On a tendance à penser que le carton a moins d’impact que le plastique, qu’en est-il ?
C’est une question complexe, donc évidemment je dirais que ça dépend. Pour bien comprendre, il y a cinq critères majeurs pour recycler une matière. Il faut que la matière puisse être collectée sur le territoire, qu’elle puisse être triée et orientée vers une filière de recyclage existante, il ne faut pas qu’il y ait de perturbateur de tri — un carton qui a plein de scotch par exemple —, il faut que la matière recyclée représente plus de 50% du matériau, et en dernier point que ce soit recyclable à l’échelle industrielle.
Si on parle du plastique, déjà tous les plastiques ne se recyclent pas, donc dès qu’on a des matériaux qui sont composites avec plusieurs plastiques dedans, ça va poser problème pour le tri. C’est pour ça que le carton est vu comme une solution plus propre, car il est mono-matériau, on a qu’une seule matière dans le carton. On voit souvent le carton recyclé comme la solution la plus propre. Mais ce qu’il faut savoir, c’est qu’un carton recyclé va quand même générer à peu près deux fois plus de gaz à effet de serre qu’un carton fait à partir d’arbres. Il ne faut pas se dire que le recyclage n’a pas d’impact. Il faut garder en tête qu’un carton recyclé, ça a quand même un bilan environnemental et il est plus important qu’un carton classique. Après, je ne dis pas qu’il ne faut pas les recycler, attention ! Mais il y a aussi d’autres façons de baisser l’impact environnemental d’un carton. Et c’est justement ce que fait Kolibio en intégrant par exemple des fibres qui sont des alternatives au bois ou au papier recyclé. De cette manière, on ne pense pas uniquement “fin de vie”, mais aussi fabrication.
Quels types d’emballage pouvez-vous fabriquer ?
On vient développer un matériau qui est une alternative au plastique et une solution complémentaire au carton. Aujourd’hui, en tant que petite entreprise, on commence en réduisant l’impact environnemental de l’e-commerce en apportant une solution d’emballages d’expédition.
Par la suite, on peut imaginer venir faire n’importe quel emballage, des cartons de présentation de produits, etc. En fait, on peut tout faire !
Quel conseil donnerais-tu à quelqu’un qui n’ose pas encore faire le grand saut dans l’entrepreneuriat ?
Je suis la bonne personne pour répondre parce que j’ai eu beaucoup de freins à l’entrepreneuriat. Je ne suis pas issue d’une famille d’entrepreneurs et je n’ai pas forcément eu d’exemples dans mon entourage non plus. Je conseillerais de pas essayer de se projeter trop loin dans le projet. Bien sûr il faut avoir une vision, mais en se projetant très loin on voit beaucoup plus facilement la montagne et les difficultés qui nous attendent. Il faut se mettre des objectifs moyens termes avec des jalons à passer pour vraiment apprécier ses résultats au fur et à mesure. Tant pis si la vision globale n’est pas encore bien construite, il faut passer des étapes, et plus on passe des étapes, plus on se met en confiance et en mouvement.
Une autre chose qui est importante pour moi, c’est d’aller semer des petites graines un peu partout dès le début, surtout pour développer son réseau. On constitue une sorte de cartographie de toutes les personnes avec qui on va pouvoir interagir dans notre projet, ce qu’elles vont nous apporter, ce qu’on va leur apporter, etc. C’est quelque chose qu’on active dès le début du projet et qui parfois ne se concrétise que deux ans plus tard, mais c’est parce qu’on a semé cette petite graine que ça se concrétise. Et pour ça, l’accompagnement d’Entrepreneurs pour la Planète et de Ronalpia a été vraiment important. Ça m’a apporté un cadre, des échanges inspirants avec des pairs et de supers mentors.
À PROPOS D’ENTREPRENEURS POUR LA PLANÈTE
Entrepreneurs pour la Planète, l’association d’intérêt général qui fédère et anime une communauté d’entrepreneurs engagés pour la transition écologique des entreprises.
Sa mission est de :
- Cartographier les porteurs de projet environnementaux & identifier les mentors.
- Créer des binômes & promouvoir le reverse mentoring.
- Animer & valoriser notre communauté d’entrepreneurs engagés.
Née en 2019 à Marseille, l’association est présente en France dans les 4 antennes dans les régions Sud, AuRA, Île-de-France, Bretagne & Pays de la Loire.
Rejoignez-nous : https://entrepreneurspourlaplanete.org/
Ensemble, entreprenons pour la planète !